Il n'y a qu'ici que je peux exprimer ces émotions. Alors, d'entrée, je vous préviens : je refuse les phrases bateau, les jugements, les
incompréhensions, les conseils tout faits. J'ai ma dose au quotidien.
Je préfère encore les silences. Si vous ne comprenez pas (ce que je conçois), passez juste votre chemin, et allez chercher quelques rayons de soleil plus loin...
Je ne dis pas ça méchamment, mais je ne veux vraiment pas des "arrête de t'apitoyer" ; laissez-moi me lamenter.
Parce que les maux sont lourds à porter. On aimerait les oublier, on ne décide PAS. On n'y arrive pas. Et tout garder
pour soi est mauvais, nous grignote.
Je crois qu'il n'y a que celles qui ont vécu "ça", qui peuvent comprendre.
* * *
Il y a deux ans, ma grossesse s'arrêtait. Oh, juste trois mois avec un foetus en moi. C'est rien. Voir son ventre commencer à s'arrondir. Avoir les manifestations d'une vie qu'on porte.
Faire des projets (même si... il ne faut pas. Mais on veut y croire, sinon, à quoi bon ?). Être heureuse.
Finir à la clinique. Anesthésie générale, et tout est fini. Les larmes quotidiennes, le corps qu'on déteste, les questions. Le couple qui se défait. Les incompréhensions. Le traumatisme.
À vie, je crois. L'homme oublie vite : on recommence, c'est simple, on passe au "suivant". Mais merde, on ne parle pas d'une poire blette ! Il ne suffit pas d'en choisir une autre. On
parle d'un bout de bébé qu'on a vu sur un écran. On parle des symptômes post grossesse, des douleurs physiques et morales, du retour de couches... alors qu'il n'y a pas de bébé. C'est
fi-ni. Juste fini. Plus rien. Rien que le vide.
Le vide, et un homme absent. Le vide, et l'incompréhension générale. Le vide, et le malaise de l'entourage. Et ceux qui font comme s'il ne s'était rien passé. Les futurs grands-parents
paternels...pas UN mot de réconfort. Pas un. Tous ces gens qui renient ma douleur, au fond. Ils ne veulent pas la légitimer. Normal, ils ne sont pas touchés.
Quand c'est notre homme, qui adopte cette réaction, ça fait encore plus mal. Je manquais de dignité , selon lui ; et lui ? D'humanité, tout simplement... Alors, je me suis cachée pendant
des mois, pour pleurer. Ses mots m'ont fait si mal. Ses propos complètement déplacés.
* * *
Et puis, il y a cette date, qui reste gravée. Je n'y peux rien. C'est comme ça. J'ai une mémoire. Je sais, que c'était ce
jour-là. Je sais, parce que c'est aussi notre anniversaire de rencontre. Belle ironie, non ?
Alors, vous allez me dire, pourquoi ne pas positiver ? Ça paraît si simple.
Parce que monsieur ne fête plus la saint Valentin, c'est commercial (il n'a qu'à rendre ce jour autre, juste une attention sans valeur marchande, pour me dire qu'il me voit encore, qu'il
m'aime toujours malgré le quotidien...), et il ne fête pas non plus les anniversaires de rencontre.
Enfin, si, la première année. C'était touchant, c'était beau. Nous avions fait l'amour. Peau à peau, corps à coeur. Je pourrais bien dire que je suis jalouse (voir un billet
précédent...) je sais ses attentions envers une ex compagne, par le passé. Je ne dois plus en valoir la peine.
L'an dernier, rien. Je lui avais quand même fait un petit cadeau. Bien sûr, il avait oublié, mais a semblé touché. Bien sûr, il avait oublié la fausse couche, aussi. Et ma mammographie.
Et mes craintes. Et mes doutes. Et oublié de me soutenir, me réconforter.
Cette année ? J'ai fini par lui dire, à onze heures du soir : "tiens, aujourd'hui, il n'a pas fait beau. C'est la première fois depuis quelques années. D'habitude, il fait beau, ce
jour-là de l'année. Pour nous. C'était notre anniversaire, aujourd'hui. Bon anniversaire."
Qu'a-t'il répondu ? Strictement rien. Donc, je lui ai signalé que c'est à lui que je m'adressais. Puis voilà. Nous ne fêterons plus cet anniversaire. J'ai vécu en couple plusieurs fois,
on a toujours fait quelque chose. Même anodin. Même un petit repas. Bref, marquer le coup, trouver un prétexte à se retrouver, se câliner.
Je suis triste. Ça va passer. Ça s'estompe doucement, avec le temps. Mais quelque chose a changé en moi, et ça, ça restera. On ne peut pas forcer les gens à oublier, à ne plus avoir
mal.
Puis cette année, pas d'examens médicaux. J'ai encore six mois devant moi avant de repasser par la case clinique. Le luxe.
* * *
J'y pense, à cette foutue date. Et je dois me taire. Mes amis, mes proches, ma famille, tous ont eu des réactions plus
blessantes qu'autre chose. "Mais pourquoi tu te souviens de cette date ?!" ou encore "Quoi ? T'as gardé ton test positif ?" (Oui, je l'avais mis, en début de grossesse,
dans un tiroir. Je l'ai retrouvé un an après, en effet, sans chercher. Je ne m'étais pas précipitée pour le jeter à mon retour de clinique). Je vous passe les "ça valait mieux comme
ça, c'était trop tôt pour votre couple", les "c'était pas raisonnable", les "tu n'aurais jamais pu tout gérer" et même les "avec la grippe A qui trainait,
c'était pas sérieux"...
Tout ça me rend triste, juste.
J'y pense encore, et parfois, je me dis que s'il avait été là, ce petit, il marcherait, maintenant... des détails, comme ça. Quand je vois un enfant né en début d'été 2010, aussi...
Pendant trois mois, il a existé, pour moi.
Un conseil : évitez de sortir des arguments logiques et raisonnables. Ce n'est pas la raison qui parle, mais la douleur, donc ça ne consolera pas. Dites tout simplement que vous
comprenez, que ça fait mal. Demandez comment ça va. N'ignorez pas ; ça ne fait pas oublier. Ça donne juste l'impression que tout le monde s'en fout. Ce qui est peut-être le cas, c'est
vrai...
Photo du début d'article prise de ma fenêtre, pour cet anniversaire. Première année avec un
ciel si gris.
Même pour ma fausse-couche, nous avions eu un mélange arc-en-ciel, pluie et soleil...
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Notes (in)connues